Le secteur du luxe traverse une période délicate avec une perte de 50 millions de clients en deux ans selon Bain & Company. Pourtant, loin de se décourager, les grandes maisons redoublent d’efforts… dans un secteur bien précis : la beauté. Louis Vuitton vient d’annoncer son partenariat avec Pat McGrath (la maquilleuse numéro un selon Vogue) pour créer sa ligne de maquillage. Prada, Valentino, Céline, Hermès… toutes se positionnent sur ce marché ultra-dynamique. Mais pourquoi cet engouement massif ? Décryptage d’une stratégie gagnante sur tous les fronts.
La beauté : un marché en or pour les maisons de luxe
Des marges exceptionnelles
Première raison, et pas des moindres : la rentabilité. Lorsqu’on a une force de frappe aussi élevée que les industries du luxe, il est beaucoup plus simple d’avoir des marges conséquentes. Un rouge à lèvres peut coûter 2 à 4 euros à produire et être vendu 80 euros par la maison. Le calcul est vite fait.
Selon McKinsey, le secteur de la beauté, bien qu’il représente le plus petit segment de l’industrie avec seulement 4% du marché, a connu une croissance impressionnante de 13% entre 2021 et 2022. Ces dernières années ont vu une pléthore de marques de luxe se lancer : Prada, Balmain, Céline… Sans oublier la division Kering Beauté lancée en 2023.
La récurrence d’achat : un atout majeur
Contrairement à un sac à main qu’on achète une fois tous les quelques années, une crème pour le visage se renouvelle tous les deux à trois mois. Cette récurrence d’achat est précieuse. Si la marque parvient à fidéliser ce client, il reviendra régulièrement. Et lorsque la marque sortira des nouveautés, ce même client sera plus à même de les tester parce qu’il sera déjà un client fidèle.
C’est un modèle économique beaucoup plus stable et prévisible que celui de la mode ou de la maroquinerie.
Le « Lipstick Effect » : démocratiser le luxe
Rendre le luxe accessible
Pour un consommateur, il est beaucoup plus facile d’acheter un rouge à lèvres, un parfum ou un fard à paupières d’une grande maison de luxe qu’un vêtement ou un sac à main. C’est là qu’intervient le fameux « lipstick effect ».
Ce phénomène se produit notamment lorsque les consommateurs ont un pouvoir d’achat qui se réduit. Ils vont se tourner vers un produit de luxe accessible plutôt qu’un sac à main ou un vêtement. L’idée ? Pouvoir se faire plaisir malgré des finances compliquées. Un petit objet qui n’est pas forcément très important en termes de prix, mais qui permet d’avoir un sentiment de satisfaction.
Élargir la clientèle
Une personne qui n’a pas le budget d’acheter un sac à main, une paire de chaussures à 5 000, 10 000 ou 15 000 euros pourra acheter son rouge à lèvres à 80 euros et ainsi faire partie de la clientèle de cette maison. C’est une façon de diversifier le public et d’attirer une clientèle plus large, notamment la génération Z.
Cette génération plus jeune et dynamique n’a pas forcément un gros budget mais représente l’avenir. Et comment les marques touchent-elles ce public ? À travers des partenariats stratégiques avec des célébrités qui s’adressent à ces jeunes. Sabrina Carpenter désignée égérie de Prada Beauty, Dua Lipa pour YSL Beauty… Ces choix ne sont pas faits au hasard. Il y a une vraie volonté de toucher une nouvelle clientèle qui ne pourrait pas être atteinte si ces marques ne proposaient pas de produits de beauté.
Le lifestyle comme stratégie globale
Créer un univers complet
Aujourd’hui, les marques ne cherchent plus juste à vendre des produits mais plutôt à développer un univers, une esthétique autour de leur identité. Développer des lignes de cosmétiques leur permet justement d’étendre ce lifestyle. On a les sacs à main, les chaussures, et maintenant le makeup ou le soin qui vient prolonger cet univers.
Ils cherchent à créer un monde où le consommateur peut s’immerger complètement. Et quand on regarde le comportement d’achat, on comprend : acheter un produit d’une marque, c’est vouloir appartenir à un groupe. Un groupe qui est souvent fermé parce que tout le monde ne peut pas se permettre des sacs à 5-10 000 euros. Le fait de pouvoir acheter un rouge à lèvres à 80 euros permet quand même de devenir consommateur, acheteur d’une marque en particulier.
Le design comme signature
On voit cette volonté de créer un univers à travers le design des produits. C’est un élément essentiel et ces marques investissent énormément dans l’esthétique et l’innovation pour faire ressortir leur identité à travers le packaging.
Le parfum de Vera Wang, avec son design très épuré et élégant, a remporté le Fifi Award du meilleur packaging féminin de l’année en 2003. Le parfum Born in Roma de Valentino Beauty était simple mais raffiné, avec une forme bombée qui incarnait vraiment l’image de la marque. Quand on voyait ce flacon, même sans savoir que c’était Valentino, on sentait qu’il y avait un vrai travail artistique derrière.
Ce ne sont pas des flacons basiques. Ça reflète l’image que la marque souhaite véhiculer à travers tous ses autres produits.
Les différents types de lancements : du parfum au maquillage
Le parfum : un classique toujours efficace
Le parfum reste le point d’entrée classique dans l’univers de la cosmétique. Depuis longtemps, les maisons comme Chanel, Dior ou encore Yves Saint Laurent ont utilisé les parfums comme levier. Et pour cause : elles ont créé des références absolues.
Bleu de Chanel, Sauvage de Dior, Y d’Yves Saint Laurent… Ces parfums phares sont devenus des best-sellers mondiaux. Sauvage de Dior, par exemple, est devenu l’un des parfums les plus vendus au monde depuis son lancement. Ces noms reviennent systématiquement dans les résultats financiers et contribuent énormément au revenu de leurs marques respectives.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2023, la division L’Oréal Luxe a affiché une croissance de 4,5% avec une augmentation de 17% dans le segment des parfums. Cette division compte 5 marques phares : Yves Saint Laurent, Giorgio Armani, Lancôme, Kiehl’s et Helena Rubinstein.
Chez Kering Beauté, lancé en 2023, les parfums sous licence ont bondi de 19,9% au quatrième trimestre 2024, atteignant 118 millions d’euros. Le chiffre d’affaires annuel s’est élevé à 455 millions d’euros, en hausse de 8% par rapport à l’année précédente.
Le maquillage : la nouvelle frontière
Tom Ford, Valentino, Hermès ont lancé des gammes de maquillage. Et il y a quelques heures, Louis Vuitton a annoncé le lancement prochain de sa ligne de maquillage : 55 rouges à lèvres, 10 baumes à lèvres, 8 palettes de fards à paupières. Tous ces produits seront disponibles dans 107 boutiques Louis Vuitton dès cet automne.
Les marques de luxe investissent massivement dans le maquillage. Et elles le font avec le même niveau d’exigence que pour leurs autres produits : design soigné, storytelling fort, qualité premium.
Les clés du succès : ce que les marques maîtrisent déjà
Les partenariats avec les célébrités
Les maisons de luxe maîtrisent l’art des partenariats stratégiques. En choisissant une célébrité en particulier comme ambassadeur ou visage pour leur marque, elles savent que les fans et l’audience de cette personne vont suivre et auront envie d’acheter les produits.
L’innovation dans le design
Le packaging des produits cosmétiques de luxe ne se limite pas à contenir le produit. Il devient un accessoire, quelque chose qui décore la salle de bain. Aujourd’hui, le packaging a autant d’importance que le produit lui-même pour le consommateur.
Les stratégies digitales rodées
Comme ce sont des marques qui sont obligées d’être présentes dans l’écosystème digital pour leurs autres produits, lorsqu’elles se lancent dans la beauté, elles sont déjà bien rodées. Elles maîtrisent les réseaux sociaux, le e-commerce, l’influence marketing.
Le storytelling et l’héritage
C’est une arme redoutable. Hermès mise sur l’artisanat et la qualité avec ses rouges à lèvres rechargeables. Chanel joue sur son histoire et son prestige. Ces récits permettent de rassembler des gens autour d’une histoire, de créer une communauté autour d’une marque.
Comme les consommateurs ne cherchent plus à acheter des produits mais une expérience, le storytelling permet vraiment de créer cette dimension émotionnelle indispensable.
Les défis : un marché ultra-concurrentiel
Se différencier ou disparaître
Mais est-ce que c’est un pari toujours réussi ? Il faut se rendre compte que ces marques vont se confronter à des géants comme L’Oréal, LVMH ou Estée Lauder. C’est un marché ultra-concurrentiel et pour exister sur ce terrain, il faut savoir se différencier.
C’est un point crucial parce que quand on regarde, elles sont nombreuses à se lancer et les codes sont assez similaires d’une certaine manière. Il faut se questionner : si demain le consommateur a le choix entre un rouge à lèvres Chanel et un rouge à lèvres Prada, qu’est-ce qui va faire qu’il va aller chez l’un ou l’autre s’il n’a aucune affinité particulière avec les marques ?
Quand on rentre sur un marché ultra-concurrentiel, il faut savoir se différencier. On parle d’océan rouge : un marché où il y a énormément de concurrents. La cosmétique, c’est clairement un océan rouge. Les marques de luxe ont donc tout intérêt à se différencier pour pouvoir rentrer et surtout exister sur ce marché.
L’exemple de Marc Jacobs Beauty
Il y a aussi des échecs. La marque Marc Jacobs Beauty a disparu très rapidement après son lancement parce qu’elle n’a pas réussi à se positionner et à adopter cette image de marque cosmétique auprès de ses utilisateurs. C’est la preuve qu’avoir un nom prestigieux ne suffit pas.
Les axes d’amélioration pour dominer le marché
Investir dans les technologies immersives
Les marques de luxe doivent travailler sur les technologies immersives comme la réalité virtuelle ou l’intelligence artificielle. Dans la cosmétique, ça a un impact énorme aujourd’hui. Ces technologies font partie du paysage.
Si elles veulent être en capacité de créer des expériences personnalisées et engageantes, elles vont devoir aller dans ce sens. Perfect Corp, très avancé dans l’IA avec des diagnostics de peau et de cheveux, a récemment montré des résultats financiers excellents. Ça montre qu’il y a une vraie volonté du consommateur pour des produits hyper-personnalisés.
Les pop-up stores et expériences immersives
Les pop-up stores fonctionnent très bien pour les lancements de produits. Yves Saint Laurent avait fait son pop-up store pour le parfum Libre, qui avait cartonné. C’est quelque chose que les marques doivent continuer à développer.
D’ailleurs, Chanel a récemment ouvert la Maison de la Beauté. L’idée derrière ce concept ? Permettre aux clients de vivre l’expérience Chanel. Ce n’est pas juste acheter des produits, c’est vivre une expérience. Et c’est exactement ce que les gens veulent aujourd’hui : des expériences immersives.
Créer des expériences ultra-premium
Au-delà de la marque, il faut qu’il y ait des raisons concrètes qui poussent un consommateur à acheter une crème à 80 euros plutôt qu’une crème à 20 euros. Ça va être le packaging qui devient un objet décoratif, les textures exceptionnelles, l’expérience sensorielle lors de la skincare routine…
Ces éléments ont énormément d’importance pour le consommateur. C’est sur ces aspects que les marques de luxe doivent travailler, ainsi que sur la communication haut de gamme et tout le travail de recherche et développement.
Les expériences multisensorielles
Les consommateurs sont de plus en plus intéressés par des produits qui stimulent plusieurs sens. La génération Z est particulièrement sensible aux touchers et aux textures. Ces marques ont la capacité d’intégrer des parfums, des textures et des visuels vraiment innovants pour créer une expérience de beauté holistique.
Ils ne veulent plus juste acheter un produit, ils veulent tout vivre avec ce produit. Les marques l’ont bien compris : le client aujourd’hui est très exigeant. Avec l’inflation, il réfléchit à deux fois avant d’investir dans quelque chose. Le fait de rajouter ce côté holistique renforce cette envie d’être client et consommateur d’une marque.
L’avenir des marques de luxe dans la beauté
Le skincare : le prochain territoire clé
Les marques ont compris que le skincare n’est pas juste une tendance, c’est une priorité. On a pu voir récemment l’explosion du skincare. En s’ancrant dans ce segment, les marques peuvent maintenant s’inscrire dans la quête de longévité et de bien-être recherchée par les consommateurs.
La skincare est le segment dans la beauté qui connaît la plus forte croissance, avec la parfumerie. Les marques vont s’en rendre compte et c’est là qu’elles vont pénétrer le marché. Certaines existent déjà, comme Dior Capture, une gamme Dior reformulée récemment avec Charlize Theron en tant qu’égérie. C’est un produit qui performe très bien depuis des années.
Dans les années à venir, on va voir ces marques qui sont dans la beauté et la parfumerie commencer petit à petit à intégrer le marché des soins. La même dynamique qu’on observe aujourd’hui avec le maquillage et les parfums va se reproduire avec la skincare.
L’hyper-personnalisation comme différenciant
Les maisons de luxe vont encore plus pousser l’ultra-personnalisation avec des parfums sur mesure ou des gammes de maquillage adaptées à chaque consommateur. Elles ont le budget pour massivement investir en recherche et développement et proposer des solutions innovantes.
Le consommateur veut le produit parfait pour lui. Il veut LE produit qui va lui correspondre. C’est pourquoi le terme « hyper-personnalisé » est si important. Et les marques de luxe ont justement les moyens de proposer ce niveau de personnalisation.
De nouvelles marques vont émerger
Avec Kering qui a développé une branche beauté, on voit clairement qu’aujourd’hui, de nouvelles marques vont impulser le marché de la cosmétique. On n’a pas fini de voir des marques de luxe développer de nouvelles lignes cosmétiques.
Elles ont compris que c’est quelque chose qui fonctionne et qui ne va pas s’arrêter dans les années à venir. Au contraire, il y a une hausse continue de la consommation de cosmétique chaque année. Elles se positionnent donc très rapidement pour prendre des parts de marché.
Le lien naturel entre luxe et beauté
Quand on y pense, s’il y a un marché que le luxe peut pénétrer naturellement, c’est bien celui de la beauté. Ces marques sont fortes en termes d’image, de branding, de prestige. Et quand on parle de beauté, on parle d’esthétique, de standards de beauté, d’embellissement.
C’est une continuité qui fait sens. C’est très allié. Jacquemus, lors de son partenariat récent avec L’Oréal, a dit qu’il avait toujours rêvé d’avoir sa ligne de cosmétique. Quelqu’un qui fait de la mode se voit et se perçoit aussi dans des produits de beauté. C’est une logique naturelle.
La grande question : comment coexister sur ce marché ?
Aujourd’hui, toutes ces marques se lancent dans l’industrie de la cosmétique. Le vrai défi maintenant, c’est de se différencier. Montrer en quoi chaque marque a sa singularité propre.
Parce que si elles continuent à coexister en ayant les mêmes codes, le même design et en communiquant de la même manière, ça va être compliqué. Ça va même être très compliqué. Le client a déjà l’embarras du choix avec les acteurs historiques de la beauté. Si les marques de luxe ne proposent pas quelque chose de vraiment unique, pourquoi le consommateur les choisirait-il ?
C’est toute la question de l’avenir de ces marques dans la beauté. Elles ont toutes les cartes en main : les moyens financiers, l’image de marque, le savoir-faire en storytelling, les réseaux de distribution. Mais la différenciation sera la clé de leur succès ou de leur échec.
En conclusion : un pari gagnant mais exigeant
Les marques de luxe se lancent dans la beauté pour des raisons multiples et toutes rationnelles : des marges exceptionnelles, la récurrence d’achat, l’élargissement de la clientèle, la création d’un univers lifestyle complet. C’est un marché en pleine croissance qui résiste mieux que la mode aux crises économiques.
Elles ont déjà plusieurs atouts : leur maîtrise du branding, leur capacité à créer du désir, leurs partenariats stratégiques avec des célébrités, leur excellence dans le design. Mais elles doivent aussi innover, particulièrement sur les technologies immersives, l’hyper-personnalisation et les expériences multisensorielles.
Le vrai enjeu ? Se différencier sur un marché ultra-concurrentiel. Toutes ne réussiront pas. Mais celles qui sauront créer leur propre identité beauté, raconter leur histoire unique et offrir une expérience vraiment premium ont toutes les chances de s’imposer durablement.
La beauté n’est plus un simple complément pour les marques de luxe. C’est devenu un territoire stratégique majeur. Et ce n’est que le début.
Et vous, quelle est votre opinion ? Comment ces marques vont-elles réussir à coexister sur ce marché ultra-concurrentiel ? Retrouvez-nous sur Instagram et LinkedIn pour en discuter, et rendez-vous dans deux semaines pour le prochain épisode de Beauty Insights !
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